Histoire des Sentiers de l’Estrie

Depuis les débuts jusqu’aux années 80

Marie G Guiomar

Avec la collaboration de Daniel Delorme et de Gilles Turgeon

Au milieu du 20e siècle, la randonnée pédestre était encore peu pratiquée au Québec. L’idée de la conservation d’aires naturelles entrait dans ses premiers balbutiements et pourtant, certains changements s’amorçaient. En 1938, en Estrie, le Parc national du Mont-Orford avait été créé. Après la deuxième guerre mondiale, en 1949, le club de montagne Le canadien (CMC) avait commencé à former une structure d’appartenance pour les randonneurs des Laurentides. Quelques années plus tard, les Sentiers de l’Estrie sont apparus dans la zone géographique qu’on n’appelait encore que les Cantons-de-l’Est.

Cette région, entre les États-Unis, la Montérégie et Chaudière-Appalaches, couvre une superficie de plus de 13 000 km2. Ses paysages sont variés : petites montagnes, larges vallées, riche réseau hydrographique de rivières, de ruisseaux, de torrents et de lacs, forêts riches d’espèces nombreuses de feuillus et de conifères. À l’époque où les Premières Nations occupaient la région, c’était un territoire Abénaki, comme en témoignent les recherches archéologiques à proximité du lac Mégantic et qui font remonter à au moins 12 000 ans leur occupation du territoire. Il y a aussi les nombreux toponymes, qui, en langue abénaki font référence, essentiellement, aux activités de chasse, de pêche et de communication note Une toponymie abénaquise au Québec : Missisquoi et Yamaska | Historien sans Frontière (historien-sans-frontiere.com) .

Le nom Abénaquis (Wôbanaki) vient des termes waban (la lumière) et a'Ki (la terre); on peut donc dire que cet ethnonyme signifie « peuple du matin », « peuple du soleil levant » ou encore « peuple de l'Est »; en ce sens, le nom regroupait tous les Algonquins de l’Est. note Abénaquis — Wikipédia (wikipedia.org)

Au18e siècle, la région était devenue, pour les colons de souches européenne et américaine, les Eastern Townships. Elle avait été découpée selon le modèle britannique par et pour des Loyalistes américains, fidèles à la couronne, qui fuyaient la guerre d’Indépendance. À la différence du découpage en Seigneuries et en « rangs », perpendiculaires aux cours d’eau, comme dans le reste du Québec, la terre y avait été quadrillée; cet aspect de la colonisation de la région a beaucoup influencé la croissance et le développement d’un long sentier continu qui, pour se maintenir devait, et doit toujours, traverser de multiples propriétés.

En effet, la volonté des fondateurs des Sentiers de l’Estrie était d’offrir la possibilité de faire de longues randonnées, comme il était déjà possible de le faire dans les états de Nouvelle-Angleterre.

Au 19e siècle les moulins sur les rivières, l’exploitation forestière et agricole, le chemin de fer et les peuplements successifs avaient transformé la région des points de vue économique et démographique. Parmi ces facteurs, c’est l’exploitation sylvicole qui a eu le plus d’impact sur les sentiers.

Vue au S-S-O depuis le mont Orford. Photo Marie G. Guiomar

C’est au cœur de ces lieux que, du rêve d’un homme, Jacques Gauthier, et de ses amis, sont nés Les Sentiers de l’Estrie. C’est le premier grand réseau de randonnée pédestre de l’histoire du Québec. Il offre un long sentier linéaire qui traverse la région en diagonale du nord-est (Kingsbury) au sud-ouest (Sutton).

Cette histoire est celle de ces pionniers et nous leur rendons hommage avec Luc Arsenault, grand randonneur et bénévole dès la fin des années 80 : « C’était une belle époque. Les gens qui ont commencé les Sentiers, je leur lève mon chapeau ! »

Jacques Gauthier; photo Marie G Guiomar à partir d’un grand portrait prêté par Jacques

La fin des années 50 et les années 60 était une époque où le Québec a émergé, pourrait-on dire, de son passé. La Révolution tranquille a été la porte d’entrée dans la modernité culturelle et économique. L’atmosphère était à l’enthousiasme et aux changements profonds. Les fondateurs des Sentiers de l’Estrie ont vécu de façon magistrale et innovatrice ces changements, en rêvant, puis en inscrivant concrètement leur rêve dans la nature même des Cantons-de-l’Est.

Aujourd’hui en 2022, en écrivant l’histoire des Sentier de l’Estrie, nous écrivons un pan de l’histoire régionale, mais aussi, nous en sommes convaincus, comme Jacques Gauthier, « un morceau de l’histoire du Québec ».

Le sentier dont nous allons raconter l’histoire a été tracé et c’est encore le cas au début du 21e siècle, en franchissant des centaines de propriétés et de territoires aux vocations différentes : œuvre de bénévoles, il a toujours été menacé ou facilité. Le découpage foncier, la bonne volonté ou les réticences des propriétaires, les priorités des compagnies forestières ont paramétré les droits de passage dont il sera question tout au long des cinquante années d’existence des Sentiers de l’Estrie. Malgré tout, les bénévoles par centaines ont réussi à le maintenir. Plus encore, certaines circonstances ont permis de le pérenniser; d’autres gestionnaires de sentiers et de territoires ont, au cours des années, emboîté le pas et offert de multiples horizons de randonnées.

Écrire l’histoire d’une chose aussi élémentaire qu’une « sente » qui serpente dans la forêt est moins simple qu’il y parait. C’est pourquoi, nous avons décidé de tricoter ensemble la chronologie, la géographie, les situations et les thèmes ainsi que les situations humaines et physiques. La seule succession des dates ne présente pas à elle seule un intérêt suffisant; notre désir était de connaître les histoires vécues qui ont fait l’histoire du sentier dans le bois et de l’organisme qui porte son nom.

Certains paragraphes ont pour titre les « zones » du sentier. Mais ces zones se sont modifiées. Le sentier a souvent changé de place, et il a aussi souvent été rompu dans sa continuité, d’où l’intérêt de le présenter sur les cartes successives. D’autres paragraphes sont annoncés par des problèmes propres au sentier, comme la construction d’infrastructures, les droits de passage et les événements qui ont eu un impact sur son existence.

Les Sentiers de l'Estrie a une double vocation de gestionnaire de sentier et de club de marche et l’organisme a connu des développements et des difficultés, souvent d’ordre financier comme bien des organismes à buts non lucratifs. Cependant cette histoire ne parlera pas de finance sinon pour exposer le travail colossal des bénévoles qui à coups d’astuces et de demandes de subventions ont tenu le bateau à flot.

Les documents écrits étant absents ou très rares pour explorer les premières années, nous avons surtout utilisé la mémoire des pionniers que nous remercions vivement et à double titre : d’abord pour avoir légué ce fantastique héritage et aussi, pour avoir collaboré avec enthousiasme à nos recherches et consenti à une ou plusieurs entrevues. Comme le précisait Carmen Beaudet qui était là dès1978, « on n’archivait rien. On se réunissait et on parlait des problèmes ».

Des pionniers aux valeurs fortes : Apprendre et se dépasser

Les fondateurs voulaient créer des sentiers, mais ils étaient motivés par des valeurs fondamentales : la connaissances et l’élévation spirituelle.

« J’échangerais volontiers ce que je sais contre ce que je ne sais pas » dit Robert Poisson. En faisant des sentiers, le groupe entrait dans le livre ouvert de la nature. Ils souhaitaient, par exemple, passer par des endroits où il serait possible d’observer des animaux. Robert raconte comment, dans un campement provisoire, à proximité du ruisseau Ely, ils avaient apprivoisé un raton laveur. Ils entendaient gratter sous la tente: l’animal était dérangé par l’invasion de son habitat. Ils l’ont observé capturer des grenouilles et ils se sont amusés à le familiariser, en attrapant pour lui.

Dès que quelqu’un dans le groupe avait des connaissances à partager, ils en étaient avides. Ils avaient appris qu’on pouvait se nourrir en n’importe quelle saison en milieu naturel. Par exemple, certaines tiges de fougères, au printemps, dégagées et séparées comme des brins de céleri sont délicieuses. Et non ! Ce ne sont pas des têtes de violon.

Nicole Obomsawin avait rencontré certains des pionniers. Elle était animatrice au musée Abenaki d’Odanak, musée qu’elle a dirigé par la suite, avant d’enseigner à l’institution Kiuna (« Nous »). Elle avait délégué auprès du groupe un jeune homme de sa communauté qui leur avait appris beaucoup de choses: comment utiliser l’écorce de bouleau, comment partager le territoire avec des animaux sauvages. Les ours par exemple préfèrent éviter les humains: il faut penser à leur signaler sa présence en faisant du bruit et en frappant contre les troncs.

Il y a des éclats de quartz dans le lit de la rivière au Saumon. Quelques personnes avaient appris à les identifier. En été, quand les eaux étaient basses, elles en cherchaient pour en faire des bijoux.

Évidemment, parmi ces apprentissages, l’orientation en forêt était la plus importante. Outre la boussole et le soleil, on peut se repérer grâce à certains végétaux. La dernière branche du haut du pin à corneille (le pin blanc) par exemple, est toujours orientée vers le nord.

Apprendre. Photo Gracieuseté Robert Poisson

Si pour Robert Poisson, apprendre était une valeur fondamentale, pour Jacques Gauthier, formé en travail social, la création du sentier concrétisait des valeurs esthétiques et morales. Il fallait faire passer le sentier par les plus beaux endroits de la région. Au plan moral, la bonté était (et est encore) une valeur fondamentale de Jacques: pour lui, il fallait accroître la « noble valorisation » note Ce qui anime toujours Jacques Gauthier qui collabora à un projet scolaire en Haïti, Ce projet concerne 150 enfants et revient à fournir 150$ par enfant pour l’aider à rester à l’école. Ce projet est sur pied depuis 10 à 12 ans. Beaucoup des enfants ont des mères monoparentales à qui l’organisme a construit des petites maisons. celle qui, en soi, suffit à entretenir la motivation. Jacques précise que le besoin de faire des sentiers était comme une manière matérielle d’illustrer la progression personnelle, quasi spirituelle, de soi et des autres en l’incarnant dans la nature. Tracer un sentier, c’était tracer son chemin de vie en alliant la beauté et la bonté.

Vestige de moulin près de la rivière au Saumon. Photo Marie G. Guiomar

Muriel Corriveau, une des pionnières, adhérait à cette valorisation du partage et du bonheur répandu autour de soi. « Combien de gens m’ont dit qu’ils ont pu aller en forêt… Les sentiers ont créé un vrai bonheur, et cela a créé un boom de fréquentation. Amener du monde dans la nature, aller prendre l’air ».

Amener du monde dans la nature. Photo Daniel Brisson

On comprend que le rêve un peu fou des fondateurs était au diapason de l’époque : « On constituait une bande d’amis et on trippait. C’était un beau moment de jeunesse ». Dans les années 70, on était un peu marginaux. On vivait en dehors de la religion, de l’église; c’était notre manière de vivre notre jeunesse de façon alternative. On faisait vie commune. C’était un retour à la terre. On était soutenus par notre but et notre mental était dans le « Pourquoi pas? » ou encore « Et si ça se pouvait? » (Muriel Corriveau). Les Sentiers s’inscrivait dans une mouvance sociale plus large. Qu’on pense aux approches alternatives, aux communes, au retour aux sources. Tous les domaines explosaient. Selon Muriel, on peut même dire qu’à l’époque on était déjà dans « l’achat local! »

Les premières années : une vue d’ensemble 

La date de l’idée initiale d’un long sentier varie un peu selon les mémoires: 1958? 1968? Robert (Bob) Poisson hésite à en faire remonter les débuts à 1958. Ça, c’est pour la petite histoire. Mais Jacques Gauthier et les trois premiers topoguides, dont le premier, rédigé par Madeleine Bolduc, en 1982, évoquent 1968 comme date du coup d’envoi. Mais où étaient-ils? Dans le Topoguide 1, on lit: « au pied du mont Orford », dans le deuxième « En haut du mont Orford » et dans le troisième « En haut du pic de l’Ours »!

Peu importe ! Les deux amis, Jacques et Bob, au retour d’une randonnée sur la Long Trail (Vermont) auraient commencé à se représenter un sentier pédestre traversant l’Estrie, par ses plus hauts sommets et ses plus beaux paysages. Jacques rêvait même d’étirer le sentier jusqu’au bout de la chaîne des Appalaches en Gaspésie ! Dès le départ donc, l’idée était de voir grand et de marcher longtemps à travers la région et peut être le Québec. Les choses ont avancé très vite. Jacques Gauthier était le penseur par excellence de ce grand rêve et Robert Poisson, pragmatique et efficace en était le grand maître d’œuvre pendant les premières années.

Jacques dirigeait le camp d’été Jouvence, qui était devenu la base des amateurs d’escalade. Jouvence a, plus tard, été intégré dans le parc du mont Orford.

Jacques et son fils Vincent avaient aussi bâti un centre privé, « Nature et Croissance » qui pouvaient recevoir des réunions et servir d’hébergement en dortoirs.

Robert Poisson, qui faisait de l’escalade avec un groupe de Drummondville, le club Aventure, avait rencontré Jacques, qui pratiquait également toutes sortes d’activités de plein air : randonnée, canot, kayak, ski de fond. Jacques avait rejoint ce groupe. Des liens d’amitié et des aventures vécues ensemble avaient créé le terrain fertile pour la question originelle: « Pourquoi on ne marcherait pas aussi chez nous ? Pas seulement aux États-Unis ?» Jacques précise aussitôt: « Sans Robert Poisson et l’implication du club Aventure de Drummondville, les Sentiers de l’Estrie n’aurait pas vu le jour ». En effet, beaucoup des membres de ce club de loisirs ont collaboré, dès le début, à la création du Sentier, de façon parfaitement désintéressée. Cette équipe, jeune, en forme et dynamique comptait alors une vingtaine de personnes.

Groupe d’escalade. Photo gracieuseté Robert Poisson

Pour revenir à l’escalade, le seul endroit où on trouvait du matériel spécialisé était à Boston. C’est là que Jacques et Robert ont rencontré des personnes qui traçaient déjà des sentiers aux États-Unis: la Long Trail qui va du Massachussetts au Vermont, conçue en 1909 et l’Appalachian Trail, long sentier qui va du Maine à la Géorgie, créé en 1921. Ces personnes ont stimulé le désir des deux Québécois d’en faire autant au Québec et leur ont prodigué des précieux conseils, notamment celui d’éviter les terres agricoles. Il était préférable de parcourir les terrains incultes et les forêts non exploitées, sinon par les compagnies forestières.

Les héritiers des coureurs des bois

En 1972, alors que l’idée du sentier mûrissait, Jacques et Robert avaient décidé de faire un trek exploratoire pour se rendre compte sur le terrain de la faisabilité du projet. L’expédition avait été soigneusement panifiée pendant un an. Robert, qui avait été chef scout, était entrainé aux situations de survie en pleine nature et il savait comment transmettre ses connaissances.

Pendant huit jours, un groupe d’une quinzaine de personnes avait parcouru la distance entre Racine et Sutton. « Une vraie épopée de fou » selon Louise Turcotte, alors compagne de Robert. Il n’y avait pas encore de sentier évidemment: ils avaient marché à travers bois, sur ce qui allait devenir les Sentiers de l’Estrie!

Robert connaissait un M. Lefebvre de qui il avait loué un cheval afin de lui faire porter le plus lourd du stock. Bernard Allard dit « Slim », était en charge du cheval. Mais ils s’étaient vite rendu compte qu’un cheval dans le bois sauvage « ce n’était pas évident ». Ils avaient alors choisi de laisser le cheval à la base Jouvence où ils s’étaient aussi délestés du maximum de choses inutiles. Au lieu, par exemple d’avoir chacun son savon, le même pourrait servir pour quatre, même chose pour les réchauds.

Pour se nourrir en route, loin des villages, ils avaient prévu des caches creusées par Robert le long du parcours où ils avaient enterré des barils bleus à couvercles hermétiques remplis de denrées. Tous les menus avaient été planifiés. A un endroit c’est le curé de la paroisse qui avait accepté d’en garder pour eux. Le groupe ne partait jamais avec plus de deux jours de provision puisqu'il fallait se frayer un passage et aussi transporter les tentes et les outils.

Ils dormaient sous des tentes à même le sol car ils s’étaient délestés des matelas. Ce n’étaient pas le maximum de leur inconfort: une nuit un orage avait éclaté. Ils s’étaient levés trempés et ils avaient dû continuer à avancer dans des terrains humides avec de l’eau jusqu’à la taille. C’est d’ailleurs pourquoi certains des membres, épuisés, avaient abandonné l’expédition.

L’eau des ruisseaux étaient encore pure à cette époque mais il leur était arrivé d’en manquer vers la fin du trek, et s’étaient résignés à lécher les feuilles pour s’hydrater !

Pour parcourir le bois selon le tracé, il n’y avait que la boussole. « Dans des endroits difficiles, on essayait de ne pas dévier. Lorsqu’on arrivait près de marécages il fallait les contourner. On sortait de là tout écorchés, grafignés. On était sales, on avait chaud, mais on était jeunes et on était capables. » (Muriel Corriveau). Pour se diriger, il fallait grimper aux arbres. C’était une spécialité de Michel Auger. Chaque jour, en équipes de deux et à tour de rôle, ils faisaient le point pour se repérer sur la carte. Robert qui était très bon pédagogue leur avait appris comment faire.

Toutes les personnes du groupe avaient perdu du poids et en sortant du bois, ils étaient tous affamés. « Vers Sutton, se souvient Muriel, à la fin du parcours, il y avait un camp de scouts, le camp Sainte-Marie. Ils avaient des restes d’un repas de spaghetti, et nous, nous avions perdu tout amour propre à force d’avoir faim, et on mangeait à même les restes avec les mains ». Certains même, selon Louise Turcotte les avaient dévorés froids. En bref, c’était beaucoup de souffrance mais cet épisode est « un des plus beaux moments de ma vie! » dit-elle, ce que confirment tous les pionniers des Sentiers.

Cette première expédition de repérage avait été menée jusqu’aux monts Écho et Sutton.

Kingsbury le village natal du sentier

Dès l’automne et l’hiver 1968-69 le groupe initial avait étudié les cartes topographiques et les cadastres pour y inscrire un tracé préliminaire. Peu après, il avait fait l’expédition qu’on vient de voir. Robert s’occupait de toute la préparation du travail terrain, y compris le survol du secteur note Les premières photos aériennes de la région, antérieures à ce survol, remontent à 1945. .

Le club de plein air de Drummondville avait son local en face de l’aéroport où des responsables avaient mis au point des formations en navigation aérienne et en bateaux à voile, pour arriver à des ententes de cohabitation des voiliers et des hydravions sur les plans d’eau. Robert Poisson qui avait émis l’idée de survoler la région en avait parlé avec M. Lapierre qui était agent pour Pepsi-Cola et possédait un avion. Il avait accepté de commanditer l’expédition. Toute une journée avait été consacrée à survoler le territoire jusqu’à Orford, en faisant plusieurs allers-retours et en traçant de grands cercles pour repérer les surfaces qui ne présentaient pas d’intérêt pour les agriculteurs, mais qui était hautement intéressantes pour y faire passer un sentier.

Les recherches cartographiques avaient été réalisées, en partie, avec la collaboration de l’Université de Sherbrooke, où Jacques avait étudié en géographie en même temps qu’en service social. Les mêmes personnes élaboraient les premières cartes, faisaient le travail terrain et avaient de plus, produit les premières éditions du topoguide avec la collaboration du Comité québécois des sentiers de randonnée.

En 1971, sous la direction de Bob Poisson et de Jacques Gauthier, le tracé du sentier avait été dessiné. Il portait alors le nom de Sentier des Voltigeurs, d’après le nom du club de plein air de Drummondville. Ce premier segment de sentier avait été ouvert au public en 1977.

À cette époque (1973-75), « on était seuls dans notre coin » dit Jacques Gauthier. Le défrichement se faisait entre le ruisseau Ely, le mont Carré et le mont des Trois-Lacs. En même temps, les bénévoles faisaient aussi des expéditions de reconnaissance dans la partie sud de l’Estrie. Il avait fallu un an pour aller de Kingsbury au ruisseau Ely. « On était rapides, on était habiles. On pouvait avancer d’un kilomètre par jour », en passant sur des chemins forestiers entre autres. Sur la première plaque signalétique à l’origine des Sentiers de l’Estrie était inscrit « Jouvence. Sentier des Voltigeurs ».

Artefact offert aux Sentiers de l’Estrie par Jacques Gauthier

Le sentier, entre Kingsbury et le Parc national du Mont-Orford (PNMO), avait donc été finalisé et balisé avec les bénévoles du club Aventure de Drummondville.

Or le club de plein air Aventure n’avait pas été enregistré légalement et, coïncidence, en 1975, le voyagiste du même nom avait été créé. Cette compagnie avait décidé d’invoquer la loi des droits d’auteur pour préserver l’exclusivité d’usage du nom! Après discussions et négociations, les fondateurs du club de voyage qui étaient des anciens scouts, comme Robert Poisson, avaient compris la situation et avaient fini par lui envoyer une lettre d’excuse, évitant toute forme d’embrouille légale postérieure.

La décision avait été prise de commencer le sentier à Kingsbury et de remonter le parcours de la rivière au Saumon, de la mine d’ardoise jusqu’à la décharge du lac Brompton, où commence la rivière, ensuite, la piste irait vers le PNMO.

La mine d'ardoise. Photo Marie G Guiomar Le vieux sentier, abandonné en 1994. Photo Marie G Guiomar

La mine d’ardoise de la New Rockland Slate Company devait son nom au village de Rockland, incorporé à Kingsbury en 1926. Elle se situe à 2 km du village de Kingsbury sur le chemin de l’Église. Elle avait été choisie comme point de départ pour plusieurs raisons. À la fin des années 60, l’exploitation de la mine était réduite. On n’extrayait plus d’ardoises à toitures, les bons filons ayant été épuisés. Elle fournissait surtout de la poudre pour teinter des peintures de la compagnie C.I.L. note Village de Kinsbury La mine située à l’est de la rivière au Saumon avait un intérêt touristique ; elle était « captivante » dit Jacques Gauthier. Il y avait aussi de la place pour stationner. Et enfin, les droits de passage se négociaient avec un seul interlocuteur.

Carte numérisée fournie gracieusement par Pierre Bail, directeur du musée de l’ardoise

Voici une carte de 1954 où on distingue en gros traits noirs discontinus la voie de chemin de fer de la compagnie Orford Mountain Railway qui reliait des localités de la vallée de la Missisquoi, puis Shefford, Valcourt, Bonsecours et Kingsbury. Elle servait au transport des personnes et des biens. Les ardoises étaient acheminées vers Drummondville. Plus tard, on le verra, le départ du sentier a été localisé au village, en empruntant un segment de l’emprise de l’ancienne voie ferrée, le long de l’étang au milieu du village.

Emprise de la voie du Orford Mountain Railways le long de l’étang de Kingsbury. Photo Louise Galarneau

Le groupe « Placement Bombardier » qui possédait beaucoup de terres avait des ententes avec la forestière International Cooperage note L’International Cooperage Company avait été fondée en 1933à Philadelphie en Pennsylvanie. Elle a été incorporée à La Grief Container, multinationale dont l’histoire remonte à la fin du XIXème siècle. La compagnie Grief achetait des droits de coupe pour obtenir le bois nécessaire à la confection des barils et autres types de contenants. Elle avait un agent sur place, en Estrie. ; nous en reparlerons dans le paragraphe consacré aux droits de passage. Le terrain de la mine avait été acheté par Joseph-Armand Bombardier en 1946, ainsi que d’autres bâtiments du village.

Appartement de J.A. Bombardier à Kingsbury Photos Marie G. Guiomar

Il avait aussi acquis l’usine immense qui longe la rivière au Saumon en aval du barrage d’où s’écoule l’étang. Gilles Turgeon, qui a pu visiter les lieux écrit: « Joseph-Armand Bombardier avait un appartement dans l'usine.  Tout est délabré maintenant (2021) mais on reconnait clairement le salon avec son foyer, deux chambres.  La cuisine est la pièce qui a la fenêtre immédiatement à gauche du surplomb quand on regarde le bâtiment depuis le sentier.  Cette fenêtre donne directement sur la plus belle cascade.  À cet endroit, la rivière touche le mur de l'usine. C'est spectaculaire.  On est juste face à la rivière, elle nous fonce dessus. Elle part à hauteur d'œil et tombe vers nos pieds.  C'est fascinant. Le balcon en surplomb (juste une galerie vitrée finalement) donne sensiblement la même vue.  Quels petits-déjeuners il avait, Joseph-Armand ! » note Gilles Turgeon, 2021 ; nous en reparlerons dans le paragraphe consacré aux droits de passage. Le terrain de la mine avait été acheté par Joseph-Armand Bombardier en 1946, ainsi que d’autres bâtiments du village.

Le gisement d’ardoise longe la rivière en amont de l’étang de Kingsbury. Dès les premiers mètres du sentier, il était possible de monter sur les empilades d’ardoises d’où on voyait le cratère de la mine et au-delà, on découvrait les environs. Il y avait l’entrée d’un tunnel désaffecté, une sorte de grotte mystérieuse propre à alimenter l’imaginaire, mais où il était interdit de s’aventurer.

Muret d’ardoises en biais de la rivière au Saumon Photo Marie G. Guiomar

Un moulin fournissait l’énergie hydraulique dont la mine avait besoin pour les forages et un muret d’ardoises sur la rive ouest servait d’entonnoir pour amener plus d’eau au moulin.

Le trou de la mine, un site d'intérêt de l'époque. Ce trou serait le résulat d'une propection ayant pout but de trouver de l'amiante.

Plus au sud, le sentier suivait la crête, en surplomb de la rivière : un territoire passionnant pour les amateurs de géomorphologie et une source d’émerveillement, car le parcours de la rivière est pittoresque, jusqu’à sa source, c’est-à-dire la décharge du lac Brompton qu’on voit de la Route 222, près de la plage McKenzie. Au nord, elle se jette dans la Saint-François un peu en amont de Melbourne.

La rivière était autrefois une frayère à saumons, avant la construction du barrage sur la Saint-François Est, dans le secteur de Drummondville (1954). Son débit était aussi plus important, car le couvert forestier était plus abondant et le barrage Bombardier, qui contrôle la décharge du lac Brompton, avait, depuis 1951, maintenu la stabilité du niveau du lac, dont les rives se sont énormément peuplées, cela, au détriment de celui de la rivière. Pourtant, la rivière était, à l’époque des Abénakis, une rivière féconde. D’ailleurs, la rivière Saint-François, en langue Abénaki était ALSIG8TEQW, ce qui signifie « rivière aux saumons et aux écrevisses » note Information fournie par le professeur Philippe Charland. Il explique aussi que le «8» dans l’écriture s’applique à un son qui n’existe pas en français et se situerait en gros, entre le o et le a. , ou encore, selon d’autres sources « rivière au camp vide, ou aussi rivière au coquillage ». Quant à la rivière au Saumon, son nom abénaki serait Madakik note La toponymie des Abénaquis (gouv.qc.ca) .

En 2022, on peut encore distinguer des traces de balises, peintes sur les troncs, au nord de l’étang de Kingsbury. On ne doit pas s’y tromper, ce n’est pas là que le long sentier a commencé: cet endroit avait servi de banc d’essai pour le traçage et le balisage, mais n’était pas le VRAI point de départ.

Vestiges de balises peintes au nord de l’étang. Photo Marie G. Guiomar

Après l’obtention des droits de passage, le sentier avait été tracé, balisé et mesuré. Selon Jacques Gauthier, la démarche était relativement rapide, car le travail terrain n’était pas très élaboré: il suffisait de choisir les meilleurs passages, éviter les terrains humides et les endroits trop escarpés. Lorsque c’était possible, les marcheurs empruntaient aussi les chemins forestiers préexistants.

Carte du tracé tel que présenté dans le deuxième topo guide (1987)

Grâce à quelques subventions du gouvernement fédéral et surtout à l’énergie des bénévoles, le premier tronçon a été complété en 1977. Le sentier principal différait de ce qu’il est devenu par la suite, car il passait à l’ouest du mont Carré (devenu Cathédrale) et à l’est du mont des Trois-Lacs.

À cette époque, Robert Poisson possédait une petite camionnette dont il se servait pour apporter les matériaux. Mais comme il était arrivé plusieurs fois de la retrouver vandalisée, Bob avait emprunté de la peinture de type camouflage pour la cacher dans le bois. Si bien cachée qu’une bonne fois, ils ont dû la chercher pendant une demie heure pour la retrouver!

L’ouverture officielle du sentier a été annoncée en 1979 en même temps que le tronçon entre Bolton Centre et le mont Écho.

Premier Topoguide (1978)

Sentier au nord et au sud du parc du mont Orford

Tout en ouvrant le sentier depuis Kingsbury, des explorations avaient commencé au sud du parc du mont Orford, dans les secteurs du mont Chagnon, de Bolton Centre et du mont Glen.

La carte des sentiers, tels qu’imaginés, se trouve dans le premier topoguide (1978).

Les fondateurs et les bénévoles exploraient les bois « sauvages » jusque dans les montagnes de Sutton. Pour parcourir le bois selon le tracé prévu, il n’y avait que la boussole, et parfois, dans des endroits difficiles et touffus, Jacques et ses amis, montaient aux plus hauts arbres pour repérer la direction. L’objectif restait présent en tête : marcher dans le bois pour faire de la longue randonnée y découvrir la faune et la flore qu’on ne voyait qu’en forêt. Cet objectif était l’idéal qui guidait les fondateurs.

1972 Lunch au sommet du mont Carré (Cathédrale): Bob, Danielle, Madeleine, Francine et Robert Photo gracieuseté Robert Poisson

Le premier tronçon, partant de Kingsbury s’arrêtait au nord du parc du mont Orford. Un autre était amorcé, au sud, prenant le parc « en tenaille », comme disait Jacques Gauthier. Lorsque le sentier des Voltigeurs est arrivé au pied du mont Chauve, la décision avait été prise de se rendre de l’autre côté, au sud du Parc National. C’était une décision stratégique pour forcer la direction du Parc à favoriser l’ouverture de sentiers de randonnée pédestre. L’attitude générale des responsables du parc, à cette époque, n’était pas très réceptive à l’aménagement de sentiers sur son territoire et encore moins à « l’invasion » de marcheurs. Les fonctionnaires du parc le concevaient plutôt comme une sorte de réserve naturelle. Pourtant à sa création en 1979, il était classé comme parc de récréation. Plus tard, après un changement de direction, la situation s’est grandement modifiée, comme nous le verrons.

On traversait alors le parc à partir du mont Chauve, à la hauteur du chemin des Nénuphars perpendiculaire à la route 222. L’entrée par le chemin de l’Érablière n’existait pas encore.

Massif du mont Orford. Photo Louise Galarneau

Le sentier, sur le flanc nord-est du mont Chauve traversait des terrains souvent boueux, puis, à l’ouest il arrivait près du lac Stukely et de là, par les pistes de ski de fond et le refuge du Castor, il atteignait le chalet de ski alpin. Il existait déjà quelques petits sentiers secondaires vers le pic de l’Ours mais la traversée du parc se faisait essentiellement en utilisant les pistes de ski de fond au pied du massif, entre le camping et le mont Giroux. Le sentier du mont Chauve et le sentier des Crêtes ont été ouverts en 1996 (chapitre 2). Le mont Giroux n’était pas encore exploité pour le ski alpin et même au mont Orford, avant les remonte-pentes, les skieurs montaient à pied, avec les skis en bois sur l’épaule pour une seule descente! La mode des montées avec des peaux de phoque est apparue plus tard. De Giroux, le tracé allait vers le pic du Corbeau et, de là, un sentier descendait vers la route 112 entre le motel Rond-Point et la voie ferrée. Il fallait ensuite marcher sur la route 112 en direction du lac Orford, avant de bifurquer vers le sud.

Le casse-tête perpétuel : les droits de passage

Les droits de passage dans les zones Kingsbury et Brompton

Dès le début, les fondateurs avaient été confrontés à la négociation des droits de passage, gros dossier qui s’est révélé permanent. Le choix de Kingsbury comme point de départ avait d’ailleurs été déterminé, entre autres, par la simplification de la négociation: entre Kingsbury et le parc du mont Orford il n’y avait que trois propriétaires: International Cooperage, Bombardier et une autre compagnie à numéro au mont des Trois-Lacs.

Après la deuxième guerre mondiale, la compagnie International Cooperage (Grief Container) avait obtenu une grosse concession pour des coupes forestières à un prix ridiculement bas. Elle cherchait surtout du bois franc comme le bouleau, l’érable et le chêne, destinés, entre autres, à la fabrication de tonneaux en Europe note Un historique abrégé de l'industrie forestière en Estrie - Forêt Estrie (foret-estrie.ca) . Devant les réticences des gestionnaires locaux, dont les bureaux étaient à Sherbrooke, Robert Poisson avait réussi à forcer la main à la compagnie Cooperage : il avait été à Niagara Falls, où se trouvait le bureau chef, pour y rencontrer les gestionnaires. C’était en 1976, tout juste après l’élection du Parti Québécois. Robert leur avait alors dit: « Pas étonnant que le monde vote pour le PQ avec des compagnies comme vous! » Le coup avait porté: deux semaines plus tard les droits de passage avaient été accordés. Cela a duré plusieurs dizaines d’années, mais en refusant toujours que l’entente se fasse par écrit. La collaboration était minimale, dit Jacques Gauthier « Ils nous toléraient ». Sans avertir qui que ce soit, des coupes majeures avaient lieu comme en 1982, où le sentier a été complètement fermé pendant plus d’un an. La compagnie faisait la pluie et le beau temps et possédaient les droits de coupe avec un zonage particulier jusqu’à son expropriation beaucoup plus tard en vue de l’agrandissement du parc du mont Orford.

Parmi les trois interlocuteurs, la compagnie Bombardier était la plus accueillante et aidante, en particulier sur la façon de faire des contrats de passage. Robert Poisson raconte que l’avocat de la compagnie disait: « On serait mal placés pour vous refuser le droit de passer sur nos terres, parce que nous, aussi, on doit négocier pour faire passer des pistes de skidoos ». Ils étaient même prêts à intercéder auprès des autres propriétaires pour faciliter les négos des Sentiers ! L’argument était que des sentiers tracés permettent de contrôler le passage des marcheurs et ainsi éviter qu’ils s’éparpillent n’importe où.

Les droits de passage dans la zone Bolton

Au sud du parc, dans le secteur du mont Chagnon, où il n’était pas possible de passer, il avait fallu contourner la grosse érablière Lavoie pour prendre la direction de Bolton-Est. Dans cette zone, il y avait beaucoup de propriétaires, et parmi eux, plusieurs des anglophones qui surveillaient de près leur propriété et ne voyaient pas toujours d’un bon œil le passage d’un sentier avec des marcheurs. Le morcellement du territoire a eu pour conséquence d’obliger les Sentiers à changer souvent le tracé aux alentours de Saint-Etienne-de-Bolton.

Les droits de passage dans la zone Chapman

Le cas de Chapman a été particulier dans le dossier des droits de passage. Les montagnes de Stoke, les plus vieilles du Québec au sud du Saint-Laurent, isolées au nord-est de Sherbrooke, n’apparaissaient pas sur la longue piste linéaire. Or, la compagnie Domtar, autrefois Compagnie Canada Paper note Domtar - Notre histoire , était active dans la région depuis longtemps. Compagnie d’origine britannique, elle s’était développée au Canada dès la fin du 19è siècle, lorsque la demande était forte pour les traverses de chemin de fer. Elle s’appelait alors la Dominion Tar and Chemical Company Ltd. Localement, c’était la « forêt Domtar ».

Montagnes de Stoke Photo Marie G. Guiomar

Dans les années 70, la compagnie avait créé des emplois d’été étudiants avec des subventions du fédéral, à l’époque du premier ministre P.E. Trudeau. Les étudiants avaient ouvert le sentier entre les rangs 14 et 11. Une fois cela fait, la Domtar avait téléphoné à Jacques: « Voulez-vous prendre en charge l’entretien des sentiers dans les monts de Stoke ?» Jacques Gauthier y avait consenti à une condition: « en échange de l’entretien dans les montagnes de Stoke, facilitez-nous les droits de passage de la passe de Bolton en allant vers Knowlton et vers Sutton ». La compagnie Domtar y possédait des terres à bois d’une superficie de plus 4000 hectares. Beaucoup plus tard, en 2004, ces terres ont été achetées par Conservation Nature Canada (CNC). La Réserve Naturelle des Montagnes Vertes (RNMV) est la propriété de CNC. Il fallait, conclut Jacques, être « stratégiques et conciliants », ce dont il n’était pas peu fier, comme d’autres membres du groupe qui savaient aussi chercher des appuis politiques sympathiques à la cause des Sentiers et de la randonnée.

Donc, bien que non reliée au long sentier nord-sud, la zone Chapman a fini par s’intégrer au grand rêve de la découverte des beaux secteurs de la région. Il en sera question dans la suite l’histoire.

Les droits de passages dans les montagnes de Sutton

Jacques Gauthier avait donc su faciliter l’exploration de cette région encore très sauvage, en négociant avec la forestière Domtar. Pour avancer les travaux entre les zones Bolton et Sutton, Jacques Gauthier avait pris un logement pour un été à Mansonville, logement qui servait aussi de bureau. Les Sentiers de l’Estrie bénéficiait encore de subventions du fédéral avec les Projets d’initiative locale (Projets PIL). Deux dames du coin s’étaient associées aux travaux : mesdames Parent et Vachon, cette dernière, sœur du célèbre lutteur Maurice « Mad Dog » Vachon. Toutes les deux connaissaient bien la région et facilitaient l’obtention des droits de passage. Elles collaboraient aussi au déblaiement du sentier. Jacques Gauthier explique: « On entrait dans la forêt par un chemin en cul-de-sac, on rejoignait un petit lac et on montait la colline. On descendait de l’autre côté par les pentes de ski » (J.G.)

Les droits de passage, on le voit, a donc toujours été un dossier ouvert. L’Estrie comprend peu de terres publiques, en comparaison avec les autres régions du Québec, au nord du fleuve, notamment. Le territoire est divisé en propriétés accordées depuis longtemps. Quand une cession ou une vente a lieu il fallait et il faut encore négocier. Mais la principale menace venait des coupes forestières qui pouvaient carrément faire disparaître le sentier. En fait, le long sentier linéaire entre la frontière et Kingsbury a été interrompu à de multiples reprises. Nous y reviendrons. La pérennisation du sentier était et reste un problème perpétuel.

Le balisage

Pancarte rappelant que le mont Cathédrale s’appelait le mont Carré. Photo Marie G. Guiomar

Dès le départ, le balisage était rouge et blanc sur le modèle des sentiers de grande randonnée européens (GR). Les premières balises étaient peintes sur les troncs. Puis des balises en bois ont été utilisées et leur solidité est attestée par le fait qu’on en voit encore à l’occasion cinquante ans plus tard. Ensuite, les balises vissées en masonite, ou en aluminium ont servi, puis abandonnées quand on a réalisé qu’elle se faisaient « avaler » par l’écorce des arbres.

Pont des Aventuriers au ruisseau Ely (pont disparu depuis longtemps) Photo Marie G. Guiomar

Par la suite, les balises ont, de nouveau été peintes sur les troncs ou sur des plaquettes de bois.

Des traces qui disparaîtront. Mont Écho Photo Marie G. Guiomar
Balises en bois Photo Marie G. Guiomar

« Nous faisions aussi nous-mêmes nos affiches et indications pour l’entrée des sentiers », raconte Jacques Gauthier. Jean-Luc Roy, qui était très habile, avait fabriqué sa propre machine pour graver des affiches en bois, en prenant pour modèle une machine déjà en usage dans le parc du mont Orford. Il pouvait imprimer des plaques de 4 à 5 pieds de longueur, pas trop larges, sur des planches de pin. Elles étaient placées à l’entrée des sentiers. « On éprouvait de la fierté à s’afficher un peu partout le long des routes », dit Jacques.

Vers le mont Carré. La fierté de s’afficher. Photo Robert Poisson

Le balisage rouge et blanc avait donc été adopté dès le début, puis confirmé à partir des voyages en France auxquels avaient participé des bénévoles. Ils étaient organisés grâce à des projets Jeunesse-France-Québec, réservés à des 18 - 30 ans. Pendant plusieurs années, environ une dizaine de personnes des Sentiers de l’Estrie, à raison de 3 ou 4 à la fois, sont allées marcher en France (sentier côtier au départ de Normandie, dans les Alpes, en Alsace…). En 1977 Jacques y était allé avec Ghislain Pouliot.

Comme ils s’agissait d’échanges, des jeunes français venaient aussi au Québec. Ils étaient tout surpris de constater que les sentiers, ici, étaient pratiquement toujours en pleine forêt sauvage et aussi que les gens ne vivaient pas … sous des tentes amérindiennes!

Pendant une certaine période durant les années 80, les bénévoles n’avaient conservé que le rouge pour les balises afin de simplifier le travail. Mais un randonneur daltonien avait fait remarquer que c’était le contraste entre le blanc et le rouge qui les rendait visibles. Réal Martel avait poussé le CA à reprendre les deux couleurs. C’était, selon lui, un de ses « bons coups ». Depuis lors, les couleurs, rouge sur le bas de la balise, et blanc sur le haut, ont été appliquées. Sur les sentiers d’accès, elles étaient uniquement rouges. Plus tard, les balises orange et blanc ont servi à indiquer les sentiers secondaires. Pour indiquer les virages brusques du sentier, il y avait un double trait, remplacé en 1991 par une flèche. Dans le parc du mont Orford, les balises en bois étaient fixées sur des piquets de 2’’x 2’’. Ailleurs, pendant les années 80-90, elles étaient peintes sur l’écorce des arbres. On mettait alors juste assez de balises pour ne pas se perdre. Lorsqu’il y a trop d’indications, ça gâche le paysage disait Luc Arsenault. Selon lui, avec une carte, un topoguide et une bonne préparation, on ne peut pas s’égarer. Au 21è siècle, dit-il « on marche et on regarde son cellulaire ! ».

Lorsque les balises étaient peintes sur les arbres, la meilleure peinture, selon Réal Martel, était celle de la compagnie Pépin qui était spécialisée dans les peintures au latex pour machinerie lourde d’extérieur et qui fournissait gracieusement la peinture aux Sentiers de l'Estrie Ce sont encore ces mêmes peintures qui sont utilisées pour baliser le Sentier National. La générosité a souvent été au rendez-vous dans l’histoire des Sentiers!

« Nous trainions avec nous un petit pot de peinture et du ruban pour retrouver notre passage. On cherchait des endroits avec des petits monticules de terre pour placer les signes suffisamment haut » (Muriel Corriveau).

Pour mesurer le sentier ouvert, on utilisait un rouleau avec un fil qui mesurait 1000 mètres (le topofil); c’était une mesure «à la roue». Avant le balisage, on repérait le tracé avec du ruban rouge autour des troncs, comme le font encore les techniciens forestiers. Ces rubans sont ôtés lorsque le balisage final est complété.

Des rivières à traverser

Pont sur la rivière au Saumon (1973)

Les ponts sur la rivière au Saumon

Le sentier, partant de Kingsbury, suivait de plus ou moins loin le parcours sinueux de la rivière au Saumon. Mais à environ 4 kilomètres du lac Brompton, le terrain est constitué de milieux si humides qu’il avait été décidé de traverser la rivière. Cela permettait de rejoindre la rive ouest du lac Brompton et, de là, les monts Carré, qu’on n’appelait pas encore mont Cathédrale, et des Trois-Lacs.

À partir de 1973, trois ponts avaient été successivement construits sur la rivière au Saumon. Jacques Gauthier: « Pour passer de l’autre côté de la rivière au Saumon, il avait fallu construire un pont. Le premier était un pont suspendu, dont la technique de construction était la plus simple : après avoir lancé à l’arbalète une corde de l’autre côté de la rivière, on pouvait ensuit faire passer l’ensemble de la structure. Ce pont se situait à peu près à mi-chemin entre Kingsbury et la route 222. Un chemin forestier à proximité de la plage McKenzie permettait d’accéder plus facilement au bord de la rivière avec les matériaux. Ce premier pont avait été construit sous la direction de Robert Poisson.

Pont sur la Rivière au Saumon Photo extraite du premier topoguide

Un deuxième pont avait été construit en 1981. Réal Martel se souvient y avoir travaillé. Robert Poisson dirigeait les opérations. Il avait été bâti avec des dormants de chemin de fer récupérés de la démolition d’un autre pont (des 14 x10 d’une longueur de 12 pieds). Ces pièces, précieuses pour les premiers bénévoles, avaient été obtenues par Robert qui travaillait pour une compagnie de construction et dont les patrons dirigeaient aussi le chemin de fer Canadien Pacific. Quant à la compagnie Bombardier, elle avait donné des chenilles de skidoo pour finaliser le tablier. Mais ce deuxième pont bougeait aussi presque autant qu’un pont suspendu. Les randonneurs aventuriers l’aimaient, mais les moins téméraires préféraient descendre et traverser la rivière à pied dans l’eau! Ce pont n’existe plus, emporté, comme d’autres, par les crues et les glaces au dégel. On en voit encore les vestiges au fond de la rivière.

Pancarte Pont J. Gauthier Artefact offert à Jacques Gauthier et par lui aux Sentiers de l’Estrie

Le troisième pont sur la rivière au Saumon avait été construit en 1991 sous la direction de Jacques Gauthier avec un groupe Chantier Jeunesse. C’était le groupe Katimavik, composé de jeunes, dont « certains étaient très motivés alors que d’autres ne faisaient pas grand-chose », selon Nicole Blondeau.

revue Marche (été 1991) gracieuseté Nicole Blondeau : Témoignage de Luc Arsenault

Cette construction avait créé tout un événement lorsque les bénévoles l’avaient échappé dans la rivière. Il avait fallu travailler deux heures pour en repêcher les morceaux. Luc Arsenault avait relaté l’événement dans la revue Marche (automne 1991). Luc Arsenault, qui avait emmené son ami Marcel Rouvard, se rappelle de la présence de Jacques Gauthier, de Nicole Blondeau et de Real Martel qui y avait mis beaucoup d’énergie. La construction avait pris toute une fin de semaine à 7 ou 8 personnes, « travail éreintant. On avait bien travaillé. » dit Luc. Finalement, ce pont de 13 m de long, a aussi disparu.

À sa place, alors que le sentier ne traverse plus la rivière, il y a, maintenant un pont de VTT

Les ponts sur le ruisseau Elly

La première traversée du ruisseau Elly note Aussi orthographié Elie dans le premier topoguide et également Ely , se faisait sur un long tronc de séquoia que Bob Poisson avait pu obtenir de la compagnie pour laquelle il travaillait.

Ruisseau Ely Traversée sur un tronc de séquoia Photo gracieuseté Robert Poisson
Ruisseau Ely pont en tronc Photo gracieuseté Robert Poisson
Robert Poisson traverse le ruisseau Ely. Photo gracieuseté Robert Poisson

Peu après, ce pont de fortune avait été remplacé par un pont suspendu (1972). Il avait été construit en deux fins de semaines, avec le club les Aventuriers de Drummondville.

Mais il avait fallu le défaire au bout de 10 ans. Le pont des Aventuriers avait été jugé trop « aventureux » par les assureurs des Sentiers, ironise Jacques Gauthier. En effet, dès les premières années, Les Sentiers de l'Estrie avait une assurance responsabilité pour tout ce qui était « ajouté à la nature ». Si quelqu’un se blessait sur le sentier, avec une branche par exemple, Les Sentiers de l'Estrie était exempté, mais si quelqu’un s’était blessé par ou sur une infrastructure, ses frais auraient été couverts.

Ruisseau Ely pont en tronc Photo gracieuseté Robert Poisson
Ruisseau Ely Pont suspendu Photo gracieuseté Robert Poisson
Ruisseau Ely Pont suspendu. Photo gracieuseté Robert Poisson
Ruisseau Ely Les Aventuriers de Drummondville Photo gracieuseté Robert Poisson

Un troisième pont a donc traversé le ruisseau Ely. Robert Poisson en avait géré toute la construction. Il était bon planificateur de chantier et très habile de ses mains. Il avait prévu la soudure de plaques métalliques sur des poutrelles transversales ainsi que des « dormants » de voie de chemin de fer en pin de Colombie et des 10x20x12 renforcés par une cage d’acier. La soudure avait été effectuée à Drummondville et les pièces aboutées et maintenues par un « moule » soudé étaient apportées sur place par un chemin forestier sur la rive droite du ruisseau.

Ruisseau Ely Les Aventuriers Louise Turcotte au centre. Photo gracieuseté Robert Poisson
Construction du 3è pont sur le ruisseau Ely Photo gracieuseté Robert Poisson
Ruisseau Ely construction Photo gracieuseté Robert Poisson
Ruisseau Elly Photo gracieuseté Robert Poisson
Photo 38Ruisseau Ely Photo gracieuseté Robert Poisson
Ruisseau Ely Photo gracieuseté Robert Poisson

Un nouveau pont a été construit beaucoup plus tard. On y reviendra.

En 1977, après la traversée du ruisseau Ely, les bénévoles avaient atteint la « salle à David », au chemin de la Sucrerie. Une érablière et une grosse cabane à sucre datant de 1938 s’y trouvait et a prospéré longtemps encore, au centre de la vie communautaire locale.

Les premiers 30 km de sentier entre Kingsbury et le mont Chauve avaient été complétés en 1977, mais n’avaient été officiellement inaugurés qu’en 1979.

Ce sentier entre Kingsbury et le mont Chauve est une vraie saga de ponts à construire et à reconstruire! Beaucoup plus tard, il a été découpé en trois zones: la zone Kingsbury, la zone Brompton jusqu’au mont Chauve et encore plus tard, la zone Richmond vers le nord.

La collaboration entre Jacques et Robert a duré environ 3 ans, en gros jusqu’après la construction du pont sur le ruisseau Ely. Jacques n'a que des bons mots pour son ami Robert « Il était rassembleur, simple, jovial, bon vivant et de très agréable compagnie. Quand Jacques s’est retrouvé seul leader, il est allé du côté de Mansonville et du mont Écho. Il souhaitait faire la jonction avec Daniel Martin qui assumait la responsabilité de la zone avec Nicole Blondeau et Réal Martel.

Entre temps, en 1975, le parc du mont Orford s’était agrandi de la base de plein air Jouvence.

Les montagnes de Stoke

Silhouette des montagnes de Stoke. Photo Marie G. Guiomar

On a vu, à propos des droits de passage que le cas des montagnes de Stoke était particulier. Elles sont isolées du long sentier linéaire et pourtant, ce secteur a été très développé par Les Sentiers de l’Estrie.

Le mont Chapman doit son nom au révérend Thomas Shaw Chapman, premier missionnaire du Canton de Dudswell au milieu du 19è siècle. La montagne s’appelait alors Pic Bald mais fut renommée Chapman après sa mort. Le pic Bald est devenu le prochain sommet, à l’est de Chapman.

Très actif et avant-gardiste, en particulier en éducation, T.S. Chapman avait participé à la construction de la Peak House au sommet du mont Chapman. Il avait, avec son vieux cheval Dolly, tracé un sentier durant l’hiver 1895 pour monter les matériaux nécessaires à sa construction. La maison mesurait 12’ x 24’ et était ancrée à la roche par des câbles. On voit encore les anneaux d’ancrage au sommet.

Photos 41 Anneaux d’ancrage au sommet de Chapman Photos Marie G. Guiomar

La maison comprenait trois chambres: une pour les hommes, une pour les femmes et une cuisine-salon centrale note Jacques Robert, http://www.estrieplus.com/contenu-1877-38507.html . Elle servait de lieu de piqueniques et de rencontres. Le révérend Chapman: « Il faut être en bonne forme pour monter jusqu’au sommet et, une fois rendu nous ne voyons rien car les arbres, de petite taille qu’ils étaient jadis, maintenant rendus grands, nous cachent la vue du paysage. Il faudrait en abattre quelques-uns, beaucoup même, pour compenser l’effort déployé lors de la montée et nous en mettre plein la vue ».

Photo 42

Dans le premier topoguide, rédigé en 1978 par Madeleine Bolduc, on apprend qu’un refuge existait près du sommet. On en voit encore les vestiges sous la forme d’un angle de murs en bois rond empilés pièces sur pièces.

Vestige du Refuge en bois rond au mont Chapman. Photo Marie G. Guiomar

Le mont John-Guillemette, au sud-ouest du massif, doit son nom à John Guilmet, alias Jacques, (son nom s’est allongé avec le temps). Il était descendant de colons arrivés à l’Île d’Orléans. Très actif et impliqué dans sa communauté de Windsor à Stoke, il fut l’un des fondateurs de cette municipalité. Il avait construit à la hache sa maison en bois rond. Il eut 14 enfants de deux mariages et mourut à 102 ans en 1927.

Nous reparlerons des montagnes de Stoke, car les sentiers y ont été considérablement développés au début du 21è siècle d’est en ouest et du nord au sud.

Une zone compliquée: Bolton

Cette zone, entre le mont Orford (route 112) et les monts Foster et Glen, a subi beaucoup de transformations car elle est morcelée en multiples propriétés. Du nord au sud, elle offre quelques sommets, dont les monts Chagnon, Foster, Gauvin et Glen et est parcourue par la rivière Missisquoi qui va du lac Orford au lac Champlain, après avoir fait un angle droit vers l’ouest, près de la frontière.

Outre les multiples droits de passage à obtenir, le sentier était menacé par les coupes forestières. Coupes qui ont fait plusieurs fois disparaître le sentier, laissant derrière elles des clairières sauvages où repoussaient sans cesse de la fardoche et des ronces. Parfois, il fallait nettoyer le sentier pendant une bonne dizaine d’années avant qu’un nouveau couvert forestier protège la piste.

La rivière Missisquoi. Photo Marie G. Guiomar

Pendant les années 80 (1984 ?), Jacques Gauthier avait amené son fils Vincent en exploration aux mont Giroux et Chagnon. Vincent était encore jeune. Il se rappelle qu’ils cherchaient où faire passer le sentier en explorant le terrain à droite et à gauche. Pour le jeune homme, c’était une belle expérience où il fallait apprendre à se servir des cartes et de la boussole. «Diner avec mon père assis sur une bûche, c’était le fun !» dit Vincent.

Ils avaient quitté la route 112, au chemin North qui passe sous l’autoroute 10. Ensuite, ils avaient emprunté un chemin qui menait à des chalets où se trouvait une maison abandonnée. De là, on pouvait gravir les pentes du mont Chagnon. Après deux points de vue, ils avaient atteint le sommet avant de redescendre de l’autre côté en contournant l’érablière Lavoie. D’un des points de vue, Jacques avait montré à son fils les sommets de Foster et de Glen : « On va être là dans 30 jours » lui avait-il annoncé. Il y avait 30 km à parcourir. Pour franchir la rivière Missisquoi, il n’y avait qu’un pont, au chemin du Rocher.

Cependant, ce trajet sur Chagnon n’a pas été finalisé pendant plusieurs années faute de droits de passage. Au début des années 80, on pouvait s’approcher du sommet, se souvient René Pomerleau, mais alors, un seul propriétaire, M. Lavoie, avait accordé les droits de passage.

Les montagnes vues du mont Chagnon Photo Marie G. Guiomar

En 1978, Jean Péloquin, grand randonneur avait marché la Long Trail, au Vermont. L’été suivant, il en avait terminé le parcours et avait rejoint les Sentiers de l’Estrie entre Sutton et les monts Glen et Foster jusqu’aux environs de Magog. À Sutton, il avait été accueilli par Daniel Martin et d’autres membres des Sentiers de l'Estrie Il avait repris son trek après avoir dormi chez eux. Après les monts Glen et Foster, il n’y avait plus de sentier et il devait se diriger à la boussole. De zones forestières en chemins de bois, il était passé près du lac Nick et avait finalement atteint Magog, sans pouvoir passer sur le mont Chagnon.

Lorsqu’il y avait des villages à proximité, il cachait son matériel dans la forêt et faisait du pouce pour aller aux provisions. Très en forme il portait un sac de 55 à 60 livres. Pour les nuits, il avait un simple double toit de tente mais n’avait jamais été incommodé par les intempéries. Son seul souvenir hasardeux avait été une rencontre avec un ours alors qu’il s’était assis sur un tronc pour manger. Par chance, l’ours avait fait demi-tour avant que Jean soit obligé d’escalader une falaise pour s’en éloigner.

Jean Péloquin avait été brièvement été président des Sentiers de l'Estrie en 1978-79. Son intérêt principal était la qualité des aménagements et des infrastructures. Il jugeait qu’il fallait éviter les longues montées perpendiculaires à la pente qui favorisent la formation de ruisseau et l’érosion au dégel et aux grandes pluies. Il avait beaucoup observé les infrastructures au Vermont comme les barre d’eau et les passerelles. Il était allé à Burlington à une réunion des bénévoles de la Long Trail, précisément sur ce sujet.

Peu après 1982, la zone Bolton avait été relocalisée grâce à une subvention du gouvernement. La carte ci-dessous, extraite du topoguide de 1987 montre qu’entre le mont Foster et la route 112, le passage des randonneurs se faisait par les chemins forestiers et par les rangs, mais pas par le mont Chagnon.

Carte extraite du 2è topoguide

On comprend les difficultés de création d’un long parcours ininterrompu dans la zone Bolton. À l’ouest du mont Chagnon, il fallait marcher sur le 11è rang, puis sur quelques chemins privés et sur le 10è Rang. Enfin plus loin, on marchait sur le chemin du lac Nick et sur la Route 245 jusqu’au voisinage du lac Trouser afin de rejoindre Saint-Etienne-de-Bolton. Le sentier aboutissait au fond du parc municipal. On aperçoit encore dans ce secteur les premières balises peintes sur l’écorce.

Vestige et balise récente près de Saint-Etienne-de-Bolton. Photo Marie G. Guiomar

Après Saint-Etienne, le sentier empruntait le chemin de la Montagne puis un chemin privé qui croisait le chemin de la Tour. Mais il n’y avait plus de tour, comme on le verra plus tard. De là, on pouvait se diriger vers le mont Foster et ensuite, vers le mont Glen. Trois campings rustiques jalonnaient le parcours.

Ce tracé tortueux et rarement forestier était le mieux qu’il était possible de faire car les propriétés privées étaient extrêmement nombreuses et les propriétaires répondaient diversement aux demandes de droits de passages: de l’accueil sympathique, au refus catégorique en passant par l’énoncé de doutes et de questions préalables à tout accord. Plusieurs redoutaient l’invasion des skidoos et des VTT.

L’idée de Jacques Gauthier était d’éviter d’aller jusqu’à Saint-Etienne, mais plutôt de faire passer le sentier près de l’auberge Quatre-Saisons (Bolton centre) et de là aux monts Foster et Glen. Mais ce trajet n’a été possible que beaucoup plus tard, de même que le tracé par la colline du lac Trouser.

Durant les années 80 et 90, le premier grand bénévole de cette longue zone fut René Pomerleau assisté de sa conjointe, Louise Lapointe, elle-même très impliquée dans le dossier des droits de passage (ce que nous verrons dans le chapitre 2). Il était impossible de faire autrement que circuler sur des chemins de « gravelle ». En voyant le bon côté des choses, cela permettait d’offrir des randonnées champêtres accessibles à tous et en particulier aux familles avec de jeunes enfants.

En 1988, après le passage du chemin North sous l’autoroute 10, on pouvait prendre un chemin de service du mont Chagnon sur lequel, plus tard, des tours de télécommunications ont été érigées. Par la suite, on pouvait rejoindre le lac Trouser, son camping et le mont Foster. « C’était beau le mont Foster. Il y avait une belle vue » dit Luc Arsenault, vue que plusieurs années plus tard la tour des Scouts avait encore amplifiée. Du mont Foster, on marchait sur un chemin de gravier pour rejoindre le mont Glen. A travers bois, le sentier redescendait vers la passe de Bolton. Dans les années 80, le sentier sortait du bois presque en face du chemin Baker Talc. L’aire de repos, aménagée plus à l’est n’avait pas encore été relocalisée. Plus tard, des constructions résidentielles avaient aussi obligé le déplacement du sentier. Mais autrefois, très peu de gens circulaient par là.

La passe de Bolton. Photo France Lapointe

L’approche des zones sauvages: Glen-Sutton

Après la création du sentier entre Kingsbury et le mont Chauve, le développement du sentier s’était fait par portions successives mais pas encore connectées.

En 1979, une subvention du gouvernement fédéral (Emploi Perspective Jeunesse PIL) avait permis d’ouvrir une nouvelle section entre Bolton-Centre et le mont Écho. Les travaux de traçage avaient été confiés à Daniel Martin.

Daniel Martin, originaire de la rive sud, avait fait ses études de technicien en loisirs de plein air. Il avait fini son cours en 1975 puis avait appris l’aménagement de sentier de ski de fond avec la Fédération de ski de fond. Pendant un certain temps, il avait travaillé dans les Laurentides, autour de Val David où il était animateur dans une auberge et professeur de ski. Il avait fait la connaissance de Luc Larose et de Daniel Pouplot. Ce dernier avait été directeur de FQM. En 1978, Daniel avait déménagé à Abercorn avec sa compagne. Puis avec Luc, il avait fondé une compagnie Service plein air frontière (SPAF). Ils avaient ouvert leurs bureaux à Sutton sur la rue Principale; vingt ans s’étaient écoulés depuis qu’un commerce s’était ouvert dans cette localité! Sutton était une petite ville tranquille, où peu après, un boom s’était produit. La compagnie SPAF s’occupait de faire les réseaux de ski de fond. Luc Larose connaissait bien la Fédération de randonnée pédestre et de raquettes. C’est lui qui avait amené Daniel aux Sentiers de l’Estrie. En 1979 les Sentiers de l'Estrie lui avait donné le contrat pour améliorer et entretenir le sentier entre Old Notch (zone Écho) et la Passe du Diable, section qui avait déjà été balisée l’année précédente.

Le rêve était de connecter le sentier de l’Estrie à la Long Trail au Vermont, ce qui était d’ailleurs à l’agenda du comité Québec-Vermont, présidé par Paul-René Gilbert. Il ne manquait que 20 km pour y parvenir. À l’automne 1979, Daniel, avec des bénévoles était parti en plein bois du côté de Glen Sutton pour trouver la meilleure connexion tout en évitant les douanes. Ils imaginaient un pont sur la rivière Missisquoi, à l’instar du mythique Bridge of the Gods qui permet à la Pacific Crest Trail de franchir la rivière Columbia entre l’Oregon et l’état de Washington. À l’époque, entre les États-Unis et le Canada, les randonneurs se contentaient de traverser la frontière et de signaler leur passage. Mais la connexion entre les Sentiers de l’Estrie, l’Appalachian Trail et la Long trail ne s’est jamais réalisée, quoique souvent remise sur la table du conseil d’administration où Glen Sheltus était responsable du dossier.

Daniel Martin avait la charge des zones Sutton et Écho mais c’était un territoire beaucoup trop grand pour un seul homme. Entre les douanes américaines jusqu’à la passe de Bolton, c’était un immense territoire sauvage à couvrir. La forêt était si dense qu’il fallait souvent grimper aux arbres pour apercevoir les sommets au loin et se diriger. Plusieurs fois, il avait fallu modifier le trajet du sentier en partant du sud et en montant vers le Round Top. Mais du côté nord de la montagne, de l’altitude 520 au sommet, le sentier était bien marqué.

Réal Martel et Nicole Blondeau avaient fait un premier contact avec Daniel qui était à la fois contractuel et bénévole pour les Sentiers. C’est de cette époque que date la décision de séparer les zones. Réal et Nicole étaient allés voir la zone Écho, et ils en avaient pris la charge. Daniel s’occupait du reste. À l’époque, il n’était déjà pas possible de garder toutes les pistes ouvertes à cause du manque de bénévoles, sauf pour les journées dites de corvée où il ne manquait pas de bras. Réal avait ouvert tout le sentier de la zone Écho et peu après, il était entré au C.A. des Sentiers. L’entrée de la zone à partir de la passe de Bolton offrait une nature vraiment sauvage où personne n’allait. Jusque dans les années 90 c’était d’ailleurs ainsi, vierge et sauvage jusqu’à la frontière. Il n’y avait pas de route et pourtant les bénévoles avaient bien balisé le tracé.

Au sommet du mont Écho. Photo Sylvie Larocque

Réal qui avait besoin d’un emploi rémunéré avait offert ses services aux Sentiers, qui avait accepté. Il avait pu alors, consacrer plus de temps à ouvrir tous les sentiers. Il avait déjà suivi une formation du Club de Montagne le Canadien ( CMC ) pour la création et l’entretien des sentiers de ski de fond. Étant aussi à la Fédération québécoise de la marche et à CMC, il avait pu rejoindre plus de bénévoles. A certains moments il y en avait 106, au point que le problème n’était pas le manque de bras, mais le manque d’outils (les sécateurs, les scies à chaînes…).

Le sentier du mont Écho était déjà un des plus achalandés. L’association Conservation du Mont Écho n’existait pas encore; elle a été créée en 2004. Les problèmes de stationnement au chemin de la Falaise sont survenus plus tard, car celui du centre de ski, qui a été en action jusqu’en 1978 note Mont Écho - Zone.Ski .

En 1980 Daniel et les bénévoles ont fait le relevé du mont Singer et, de facto, il en est devenu le responsable. Il avait aussi pris en charge la formation des travailleurs forestiers. Il existait déjà des cahiers d’aménagement de sentier dont la dernière version avait été mise à jour avec Daniel Pouplot. Plus tard, dans les années 81 – 85, Daniel Martin avait représenté les Sentiers de l’Estrie à la «Fédé» (FQM) que présidait D. Pouplot. La Fédé essayait d’uniformiser les pratiques à travers la province, ce qui n’enthousiasmait pas forcément tous les responsables et bénévoles des Sentiers.

Les marcheurs passaient déjà par le pont qui traverse le ruisseau Boyce, le premier au départ du chemin de la Falaise. Ensuite, l’ouverture du sentier avait été faite, comme ailleurs, avec un minimum d’intervention. Les outils de base étaient la scie mécanique et le sécateur, mais on ne faisait pas encore de travail au sol. L’intention était à la fois d’effectuer le minimum de travaux et de tracer le sentier le plus naturel possible.

Jacques Gauthier et Réal Martel avaient eux aussi créé une petite compagnie, le « Groupe nature Estrie » qui a vécu pendant 2 ou 3 ans. Ils étaient habiles dans la recherche des subventions pour exécuter des travaux rémunérés. Ces sources de financement quoique précaires ont aidé à la survie du sentier.

Parallèlement aux S. E., un nouveau joueur est apparu dans le paysage : le Parc d’environnement naturel de Sutton (PENS), créé sous la pression de groupes de randonneurs enthousiastes note https://www.parcsutton.com/le-parc/mission-et-historique . Nous reparlerons des nouveaux joueurs sur le territoire dans le chapitre 3.

Durant les années 82-83 des coupes de bois ont beaucoup endommagé les sentiers. « On montait dans le bois, dit Daniel Martin, et on ne trouvait plus le sentier ». Un bénévole, Daniel Coderre, s’était engagé à refaire toute la signalisation entre Glen-Sutton et la passe de Bolton et ailleurs aussi. Nicole Blondeau: « En 1983, la zone Écho (comme d’autres) souffrait énormément de manque d’entretien. Certaines portions étaient complètement fermées. Comme j’étais également impliquée dans le Club de montagne le Canadien (CMC), j’ai convaincu celui-ci de parrainer cette zone. Cela a pris trois ans pour rouvrir la zone au complet. Mon ex-mari (Réal Martel) et moi avons continué d’entretenir cette zone pendant plusieurs années. »

C’est ainsi qu’en 1985 et 1986, les bénévoles du Club de montagne le Canadien avaient ouvert les zones Écho et Sutton, grâce à Nicole Blondeau et Réal Martel qui avaient été les grands artisans de cette réouverture avec Daniel Martin. Ce dernier était devenu coordonnateur du PENS en 1985, fonction qu’il a occupée jusqu’en 1996, alors qu’il avait acquis l’Auberge des Appalaches, où les Sentiers de l'Estrie ont plusieurs fois tenu des assemblées générales. Il avait, bien sûr, la mission de trouver des fonds pour cet organisme, mais aussi de créer des sentiers connectés au tracé des Sentiers de l’Estrie. Il avait subdivisé la responsabilité du secteur entre Daniel Boulanger et lui-même. Daniel B. couvrait le territoire des douanes jusqu’à Old Notch et lui-même entre Old Notch et le Nombril. Réal Martel et Nicole Blondeau avaient conservé la responsabilité du mont Écho. Cependant, en 1990, Réal Martel avait mis en route le Sentier national et, ayant trop d’occupations, il avait dû quitter Les Sentiers de l’Estrie en 1995. À ce moment-là, René Pomerleau était président des Sentiers, Alain Boulanger était trésorier et, entre autres bénévoles, il y avait Louise Turcotte et Daniel Martin.

Pour la première fois de l’histoire des Sentiers, il avait été possible de marcher de Kingsbury à la frontière du Vermont. Mais l’histoire, bien évidemment ne finit pas là ! Le long sentier linéaire n’en a jamais fini de se briser et de se refaire.

Enthousiasme et problèmes récurrents: la vie de l’organisme

Après trois ans d’existence, les Sentiers de l’Estrie et le club Aventure avaient pris leurs distances. Cette grande décision avait imprimé le leadership de Jacques Gauthier et amorcé le démarrage de l’organisme. En 1976, Les Sentiers de l'Estrie avait été officiellement incorporé selon la 3è partie de la loi des Compagnies. Jacques en a assuré la conduite pendant 10 ans, après quoi d’autres personnes ont pris le relais, mais Jacques a continué de siéger au CA et à assurer de nombreux chantiers.

Les comités de zones avaient alors été pris en charge par des bénévoles. Mais parmi eux, certains ne participaient que quelques mois, car leur travail ou leur vie changeait. C’est ce dont se souvient Aline Dumont; elle était bénévole-terrain et s’occupait du renouvellement des cartes de membres et de l’encaissement des montants.

Dès les débuts il y avait une centaine de membres. L’organisme était cependant fragile et les ressources rares. Nicole Blondeau: « Autrefois, les Sentiers de l'Estrie n’avait pas de bureau. Le bureau, c’était parfois la résidence du président, parfois du (ou de la) secrétaire. Les réunions avaient lieu chez l’un ou l’autre des membres du CA. Personne n’était payé. Les remboursements pour frais de déplacement ou autres dépenses étaient rares. Tout se faisait bénévolement. Il fallait avoir une âme de missionnaire. » Elle ajoute: « Il me semble que la Ville de Sherbrooke contribue financièrement depuis plusieurs années. Ce n’est pas un gros montant, mais ça a toujours été d’une aide précieuse ».

Il y a toujours eu des donateurs généreux pour venir en aide aux Sentiers: la compagnie Bombardier, les peintures Pépin et de la Ville de Sherbrooke. En 1980, Laurent Péloquin, premier jeune employé des Sentiers, dont le frère Jean avait été président en 1977-79, avait ouvert son magasin d’équipement de plein air, La Randonnée, sur la rue King ouest à Sherbrooke. Pendant de longues années, il a aidé les Sentiers de l'Estrie et prêté ses locaux pour les assemblées générales annuelles et autres événements.

Luc Arsenault avait été engagé au magasin La Randonnée, alors qu’il était étudiant, inscrit au bac à l’Université de Sherbrooke après une formation en techniques de loisirs, domaine où le travail était rare à cette époque. Il avait fait la connaissance des Sentiers en 1986-87 et s’y était beaucoup impliqué, comme responsable de la zone Kingsbury et en aidant les autres équipes lors des « corvées ». On a depuis changé « corvées », pour « journées d’entretien ».

1981 Une réunion dans les locaux du magasin La Randonnée. Au centre Jacques Gauthier. Photo Gracieuseté Nicole Potvin

En 1981, l’assemblée générale annuelle effectuait un virage dans la mission de l’organisme qui ne sera plus uniquement gestionnaire de sentiers mais aussi club de marche ( Information Sentiers – mai-juin 1981). Quelques sorties guidées commencent à s’organiser. La double mission des Sentiers de l’Estrie en tant que gestionnaire de sentiers et club de marche s’inscrit dorénavant dans la Charte et dans la vie des randonneurs.

En 1983, un nouveau conseil d’administration avait pris la relève. Jacques Gauthier, qui était plus visionnaire que gestionnaire avait passé le flambeau afin de se libérer pour mettre en route de nouveaux projets. À sa suite, Nicole Potvin avait occupé la présidence pendant plusieurs années. L’idée de base était de déposer des projets chaque année. Cette année-là, l’organisme avait été reconnu par la Ville de Sherbrooke.

Photos 51 Une réunion à la boutique La Randonnée. Photo gracieuseté Nicole Potvin

Daniel Martin avait en charge la zone Sutton. René Pomerleau et son épouse, Louise, celle de la zone Bolton au complet (entre le parc du mont Orford et la zone Sutton). Dans ces secteurs, il avait fallu déplacer le sentier, ce qu’une participation financière gouvernementale avait permis de réaliser. Les contacts professionnels et personnels de René avec les compagnies forestières et les propriétaires, en particulier au mont Chagnon, facilitaient les choses.

Les Sentiers de l’Estrie entretenait de bonnes relations avec le Comité québécois des sentiers de randonnée. Les deux se manifestaient une grande estime mutuelle. Ils partageaient le même souci pour une bonne formation des bénévoles terrain et des accompagnateurs. En 1978, le Comité québécois des sentiers de randonnée avait fusionné avec la Fédération québécoise de la raquette. De cette fusion naquit officiellement, en 1982, la Fédération québécoise de la marche. La « fédé », comme on disait.

En 1983, Nicole Blondeau et Réal Martel, étaient depuis peu devenus membres des Sentiers de l'Estrie Impliqués dans la FQM et dans le Club de montagne le Canadien, ils avaient convaincu ce dernier (CMC) de s’investir dans l’entretien des sentiers. La collaboration entre ces organismes a perduré toutes les années subséquentes. Mais beaucoup plus tard, en 2015, la Fédération québécoise de la marche et la revue Marche sont devenues Rando Québec, avec une nouvelle équipe, qui, selon plusieurs, semble faire un peu table rase du passé, ce que déplorent certains bénévoles qui ont connu des relations plus cordiales note https://www.randoquebec.ca/notre-mission/notre-histoire/, 20201105 .

Continuant la tradition d’un organisme fondé et maintenu par les bénévoles, dont le nombre a fini par être considérable, Daniel Delorme est devenu membre en 1986. Il évoque sa première randonnée avec les Sentiers, guidée par Nicole Potvin !

Daniel est un exemple formidable de dévouement des membres actifs qui tenaient et tiennent de multiples rôles. Il résume ainsi son parcours: «président des Sentiers de l'Estrie par intérim pendant un été, vice-président pendant longtemps, responsable des Comités de zones, co-rédacteur de topoguides, responsable de zones (Brompton et Orford), co-responsable pour l’exploration de nouveaux sentiers (Richmond, East-Angus, sentier du lac Miller, etc.), accompagnateur, bénévole lors de nombreuses corvées d’entretien, co-responsable de la rédaction du calendrier, responsable des droits de passage, co-responsable des liens entre PNMO et SE. … ».

Il est impossible de nommer ici tous les grands bénévoles qui ont insufflé aux Sentiers une vitalité extraordinaire, mais nous en avons rencontré beaucoup au cours de cette enquête.

Daniel Delorme. Photo Marie G. Guiomar

Les sous sont rares

La situation financière avait toujours été préoccupante. Nicole Blondeau en témoigne: « Il faut toujours être à l’affût, à la recherche et à la merci de programmes d’aide financière, que ce soit au niveau d’Emploi Québec, de Volet II, d’Environnement Canada, du Fonds d’environnement Shell, de MEC, Padélima ou autres. C’est la réalité de très nombreux organismes sans but lucratif. »

L’obligation d’être membre pour circuler dans les sentiers avait été instaurée en 1990, ce qui avait créé un apport financier intéressant. Il y avait eu plusieurs mécontents (il y en aura toujours), mais ce fut une bonne chose pour l’organisme note « Marche », vol. 2, no 2. .

Un milieu très vivant

Dorénavant d’autre joueurs sont apparus dans le monde des sentiers et de la randonnée. En 1979 le parc du mont Orford avait été officiellement classifié pour la récréation, mais selon plusieurs témoins, le parc avait une mentalité de « roi et maître », présentant peu d’ouverture pour les autres organismes et pas davantage pour les marcheurs. Plus tard, un changement à la direction avait modifié cette attitude, comme nous le verrons.

Le Parc d’environnement naturel de Sutton (PENS), créé par des membres des Sentiers de l'Estrie, avait été incorporé en 1979. Le Sentier frontalier avait aussi été créé au sud-est de l’Estrie. Comme disait Jacques Gauthier: Les Sentiers de l’Estrie n’était alors plus « seul dans son coin ».

Cependant certains rêves ont été abandonnés. En 1984, un projet de sentier très complet avait été produit pour Les Sentiers par Carol Bouffard, Patricia Bussière, Robert Dugas et Johanne Dussault. Trente-neuf kilomètres de réseau pédestre auraient rejoint le parc du mont Orford via Saint-Élie d’Orford et Saint-Denis de Brompton, combinant les zones urbaines et rurales avant de se greffer au sentier déjà existant.

Premier Topoguide réalisé par Madeleine Bolduc en 1978. Photo Marie G. Guiomar

Encore une œuvre de pionniers : les topoguides

Quatre topoguides avaient été produits bénévolement par des membres très impliqués faisant des Sentiers de l'Estrie un pionnier du genre: ce type de document incluant la description des sentiers, des cartes et des conseils utiles n’existait nulle part au Québec.

Plusieurs personnes se sont aussi souciées d’avoir un guide méthodologique pour la rédaction des topoguides, dont Laurent Péloquin (document non daté) et plus tard, Gilles Bournival. Alors qu’il était président, ce dernier avait publié un guide pour la rédaction d’un topoguide. Ce genre d’outil étant très rare, voici les étapes qu’il proposait de suivre: planification générale, relevés terrain, cartographie, rédaction des textes, mise en page, montage et impression note Gilles Bournival, Revue Marche, été 1994, p. 23. .

Le deuxième topoguide note Nous avons retrouvé deux « versions » de la deuxième édition du topoguide. Elles se différencient par leur couverture, tout le reste étant parfaitement identique. Les auteurs ne se rappelent pas avec certitude de la raison de ces deux impressions. Voulait-on mieux faire ressortir la « bottine » qui orne la couverture? avait été publié en 1987. Voici ce que Nicole Blondeau explique à son sujet : « Le topoguide 1987 a été rédigé par Daniel Paquette. Les sentiers avaient été mesurés au topofil. Ce n’était pas très précis et pas très pratique. Comme on ne ramassait pas le fil après le mesurage, il restait là pendant des mois. Chaque responsable avait marché sa zone et noté les points de repères et d’intérêt. Certains avaient noté beaucoup de choses, d’autres, très peu. Le résultat était très différent d’une zone à l’autre; ça manquait d’uniformité. Néanmoins, le document final fut très apprécié des randonneurs ».

Deuxième topoguide réalisé par Nicole Blondeau (1987). Photo Marie G Guiomar Seconde impression du deuxième topoguide réalisé par Nicole Blondeau (1987). Photo Marie G Guiomar

Après ces constats, c’est Nicole Blondeau qui avait pris la charge de la rédaction du troisième topoguide (1994). Elle avait pris soin d’assurer une description de qualité et homogène. Nicole: « J’ai participé à l’élaboration de l’édition 1994 du topoguide. J’ai marché les sentiers d’un bout à l’autre pour les mesurer à la roue, noter les points de repères et d’intérêt, et j’ai fait la rédaction. » Elle ajoute: « Je suis assez contente de mon apport à la réalisation du topoguide de 1994, compte tenu du peu de moyens dont nous disposions à l’époque. J’ai fait connaître et aimer Les Sentiers de l’Estrie à de nombreuses personnes. » À ce moment le sentier mesurait exactement 153,6 km.

Les deux premiers topoguides avaient été écrits la machine à écrire, mais ce dernier l’avait été au traitement de texte avec des cartes numériques en couleur. Gilles Bournival raconte: « On travaillait avec des gros fichiers [avec le logiciel] Autocad. À partir des cartes du ministère on numérisait point par point ».

Troisième édition du topoguide réalisé par Nicole Blondeau. Photo Marie G. Guiomar Quatrième édition du topoguide réalisé par Daniel Delorme et Jean-Marie Croteau. Photo Marie G. Guiomar

La quatrième édition du topoguide avait été publiée en 2002. Elle avait été rédigée par Daniel Delorme et Jean-Marie Croteau. Sa couverture avait été produite bénévolement par une artiste de la région, Lyne Cloutier.

Plus tard, le format des cartes et des topoguides a été complètement révisé par Gilles Turgeon.

Le travail terrain et les coupes forestières

L’ouverture et l’entretien des sentiers avait toujours été faits avec un respect maximal de l’environnement et donc avec un impact minimal. « On ne changeait pas la Nature. On s’y intégrait. On procédait de la façon la plus naturelle possible » (Jacques Gauthier). L’idée de base était que les sentiers aident à protéger la nature parce qu’on ne piétine pas partout quand on a une piste!

Sentier de la rivière Missisquoi Photo Marie G. Guiomar

Il n’existait pas encore de formation pour les techniciens en aménagement. On ne faisait pas encore des infrastructures comme des barres d’eau pour l’écoulement, ni des marches d’escalier avec des pierres ou autres matériaux. Cependant, quelques bénévoles, dont Réal Martel, transféraient leur savoir en l’appliquant à l’ouverture de sentiers pédestres. Plus tard, Daniel Martin qui possédait aussi ces compétences, était devenu responsable de la zone Sutton. Il avait alors produit un cahier d’aménagement de sentiers.

Les bénévoles, qui travaillaient avec peu d’outils (sciottes, sécateurs), avaient vite appris, par exemple, qu’après une coupe forestière, les clairières dégagées étaient envahies par la repousse des ronces et du bois d’orignal. Les sécateurs ne servaient qu’à renforcer les plantes. Il fallait donc arracher les ronces à la main. « On en a -tu arraché des ronces !»: c’est le cri du cœur de plusieurs bénévoles terrain. Daniel Martin avait aussi enseigné aux « arracheurs » comment jeter les tiges le plus loin possible du sentier, sinon, elles y reprenaient racine.

Arrachage des ronces. Photo Marie G. Guiomar

Un beau jour d’entretien, Luc Arsenault avait jeté au loin une grosse branche. Mais le voilà qui se met à gesticuler: il avait délogé un nid d’abeilles et avait été piqué à plusieurs reprises dans le cou. Nicole Blondeau, qui était sur les lieux raconte: « Je pouvais voir le dard avec la poche de venin. Heureusement j’avais appris comment enlever le dard sans crever la poche de venin. À l’époque, la trousse de premier soin était assez sommaire. On n’avait pas d’Epipen et encore moins de téléphone cellulaire !»

Souvent il fallait faire preuve d’imagination pour pallier le manque d’outillage; c’était une caractéristique de Réal Martel: « Il avait des bonnes idées » dit Luc Arsenault.

La vie de bénévole n’était pas triste ! Nicole raconte « Une journée caniculaire, dans la zone Écho, je me souviens, Daniel Martin était là. On avait été au bord du lac Cliff. Voilà Daniel qui se déshabille et se jette à l’eau…. Finalement tout le monde à poil s’est jeté à l’eau. On était un peu délinquants » ajoute Nicole, sans l’ombre d’un regret !

La présence des compagnies forestières était énorme. Elles accordaient des droits de passage, mais ne se sentaient pas vraiment liées par ces accords et, à de multiples occasions, le sentier avait été détruit. Les coupes étaient faites sans préavis et les Sentiers de l'Estrie n’avaient d’autre choix que de s’en accommoder, c’est-à-dire relocaliser et re-baliser. « Des fois, on arrivait, dit Luc Arsenault, il y avait de la machinerie et les gens nous lançaient des regards mauvais ».

La fin des années 70 et les années 1982-84 ont été des moments très démobilisateurs pour les membres, car des kilomètres de sentier avaient disparu: neuf coupes forestières majeures avaient saigné à blanc le sentier. Il avait fallu recommencer à zéro, notamment dans la zone Kingsbury et à l’approche du parc du mont Orford. Dans la zone Brompton, la compagnie Grief, dont les propriétaires étaient à l’étranger, sévissait et son agent local M. Desmarais ne faisait pas la vie facile aux Sentiers. Incidemment le lac Desmarais, à proximité du mont des Trois-Lacs lui doit son nom, en tant que propriétaire des terrains adjacents.

Dans la zone Bolton, il y avait eu moins de coupes, mais quand même…

Dans, les zones Glen et Sutton, la Domtar avait aussi effectué d’importantes coupes.

Comme le dit René Pomerleau « On passait notre temps à refaire le sentier. »

Et c’est l’histoire des Sentiers de l’Estrie! Quand les bénévoles se décourageaient, il fallait se retrousser les manches et se remettre au travail.

Daniel Martin avait été envoyé dans la zone Brompton, au mont Carré, pour rendre de nouveau le sentier accessible et balisé. Une semaine de travail pour deux personnes. Il se souvient d’avoir gravi la montagne par sa face nord, avec le projet de redescendre de l’autre côté. Malheureusement son partenaire avait perdu les piquets de tente durant la montée. Les voilà contraints de se faire un abri de fortune avant de pouvoir redescendre pour les chercher. Ils avaient perdu une demie journée et avaient encore 6 jours à passer en pleine nature. Peu importe ! Le pain du boulanger d’Abercorn, qu’ils avaient emporté avec eux, était encore aussi bon au bout de la semaine !

Silhouette du mont Carré. Photo Marie G. Guiomar

Il arrivait aussi que les bénévoles aient maille à partir avec les utilisateurs de vélos de montagne dont la mode commençait à se répandre dans les années 1980-90. Délinquants, ils utilisaient plus volontiers les sentiers de la zone Kingsbury sud, c’est-à-dire au nord de la paroi Larouche, où le terrain est moins escarpé.

Au début des années 1980, René Pomerleau venait de terminer ses études en génie forestier. Il avait rencontré Daniel Martin. C’est par ce dernier qu’il entendait parler des Sentiers de l’Estrie pour la première fois. Son épouse, Louise Lapointe et lui étaient devenus membres. Ils avaient assisté à l’Assemblée Générale tenue en septembre. Le découragement avait tellement fait chuter le nombre de membres, qu’il n’y avait qu’un petit groupe de 8 à 10 personnes. René et Louise s’étaient dès lors beaucoup impliqués dans la zone Bolton. On les retrouvera dans le chapitre 2.

Un autre écueil : la chasse

La période de la chasse qui se pratique dans la belle période de l’automne a souvent été vécue difficilement par les randonneurs et les gestionnaires de sentiers. Pendant longtemps, on ne fermait les sentiers que durant la chasse au chevreuil.

Photo Marie G. Guiomar

Les montagnes de Sutton étaient la propriété de la famille Boulanger, parmi quelques autres. La compagnie Domtar qui y était aussi accordait les droits de chasse. Ce qui n’a pas toujours été facile. Nicole Blondeau explique: « Au début des années 1990, les Sentiers de l'Estrie ont eu quelques conflits avec le club de chasse Roebuck qui payait un loyer dans la zone Écho, alors que Domtar accordait gratuitement les droits de passage aux membres des Sentiers de l'Estrie. Les chasseurs trouvaient cela injuste, même s’ils utilisaient les sentiers pour se rendre sur les lieux de chasse. À quelques reprises, ils ont détruit la signalisation à l’entrée du sentier et ont menacé des randonneurs. » Pendant les années 1980 et 90 il est arrivé que la cohabitation soit difficile et selon Nicole Blondeau « les chasseurs voyaient parfois les marcheurs comme des « granolas » pas assez virils pour faire autre chose que marcher ».

Pourtant, pour faciliter les choses, Réal Martel, qui était aussi chasseur, connaissait les méthodes de chasse et leur recommandait – en vain – d’utiliser les marcheurs au lieu de leur empêcher l’accès des sentiers. Son idée était la suivante: en préservant une large zone tampon entre les chasseurs et les marcheurs, soit un corridor allant de 500 à 1000 mètres, ces derniers auraient servi à rabattre le gibier. Ces derniers auraient pu se consacrer à chasser au lieu de « gaspiller » des ressources en tant que rabatteurs. Il faut croire que les responsables des clubs de chasse n’ont pas compris son idée, car elle n’a jamais été mise en pratique.

Les campings rustiques et un voyage de noces

Dans le deuxième topoguide (1987), on voit que des campings semi aménagés étaient déjà offerts dans la zone Brompton près du ruisseau Ely, et deux autres, au nord et au sud du Mont des Trois-Lacs.

Dans la zone Orford, outre le camping du parc, il y avait un emplacement rustique au pied du mont Chauve à l’ouest et un autre vers le sud du pic du Corbeau, avant d’aboutir à la Route 112.

Le long de la zone Bolton, trois campings rustiques étaient offerts aux amateurs de long trek.

Photo Marie G. Guiomar

Andrée Veilleux et Luc Arsenault, qui avaient l’habitude de randonner en compagnie de Réal Martel et de Nicole Blondeau, se sont mariés en 1988. En guise de voyage de noces, ils avaient choisi de faire la traversée complète des Sentiers: 19 jours à partir du 20 juin. Luc avait initié sa blonde Andrée à la randonnée. C’était une grande sportive. Tous deux voulaient relever le défi de l’aventure et de la découverte de nouveaux paysages. Luc: « T’as pas un rond et t’es jeune; ça va être ça le voyage de noces. Un ami nous avait emmenés au point de départ dans sa vieille Beetles VW ». À la fin du parcours, à Glen Sutton, « on a dû faire du pouce jusqu’à Mansonville. Un immigrant suisse qui ne parlait pas français les avait embarqués dans sa grosse américaine ». Ils avaient préparé leur itinéraire sur la trace des pionniers, à partir de Kingsbury, où François Poulin les avaient conduits. Ils s’étaient préparés à toutes les éventualités: le froid, le chaud, la pluie, les insectes, la recherche des balises lorsque les coupes forestières avaient fait disparaitre le sentier. Luc: « Des fois le sentier était moins tapé et on a marché dans l’eau souvent. Avec des bons bas de laine mérinos qu’on remet le lendemain s’ils n’ont pas séché pendant la nuit. Quand tu marches, tu n’as pas froid aux pieds !» Ils avaient apporté leur nourriture sèche: « on a mangé beaucoup de gruau et de cannes de saumon » raconte Andrée. Lorsqu’ils le pouvaient, ils s’approvisionnaient dans des commerces voisins. Pour filtrer l’eau, Luc portait une lourde pompe en céramique.

Les plus beaux souvenirs d’Andrée étaient un campement magnifique sous un ciel d’été clair, en haut du mont Sutton et aussi en arrivant au bout du sentier à Glen Sutton, près des lignes américaines, où ils avaient débouché dans un grand champ de moutarde en fleur. « C’était beau !».

La photo de Luc et Andrée a été utilisée 10 ans plus tard pour illustrer un article écrit par Nicole Potvin pour la revue Marche et repris dans le Journal de Montréal (12 mai 1998) note Hors-Piste Plus – été 1989

Les randos accompagnées et le membership

On a vu qu’en 1981 la mission des Sentiers de l’Estrie s’était élargie d’un volet club de marche. Quelques randonnées accompagnées ont commencé à être organisées. Rares au début, elles avaient lieu surtout pendant les belles périodes d’automne avec des groupes d’au plus une dizaine de personnes. Il y avait alors 4 ou 5 sorties offertes, surtout dans le but d’aller chercher de nouveaux membres. « On allait pratiquement les chercher un par un » dit René Pomerleau.

En 1988 on dénombrait 134 membres répartis en plusieurs catégories: les réguliers, les membres honorifiques et des membres conjoints. Le nombre de membres a varié avec le temps et les aléas. Et avec le temps, plusieurs catégories de membres ont été instaurées (individuel, individuel + FQM, familial, familial +FQM, groupes, honorifiques).

Il n’y avait alors pas de sorties en hiver. La raquette est apparue plus tard, arrivant d’Europe étonnamment! Les responsables de zone s’engageaient à faire au moins une sortie guidée par année sur « leur » sentier et, dès les années 80, quand Nicole Potvin était présidente, il y avait déjà un calendrier imprimé.

Nicole Blondeau, qui accompagnait des sorties avec son conjoint, évoque de très bons souvenirs de ces moments dans la nature avec un petit groupe. Souvent, après la sortie, ils allaient prendre une bière ou une crème glacée. « Une bonne fois, Luc (Arsenault) disparaît aux toilettes et ne se montre plus. Après mini enquête on l’y découvre: il avait perdu connaissance! La cause: il avait marché sur une cheville foulée sans rien dire ».

Luc, qui pourtant aimait aller seul dans le bois, avait aussi accompagné quelques groupes qui ne comptaient jamais plus de 5 à 10 personnes. « Quand il y a trop de monde, dit-il, ce n’est plus de la randonnée. Il faut trouver le juste milieu entre le monde et la nature ».

Les randonnées accompagnées étaient souvent l’occasion de situations spéciales. Daniel Martin raconte comment, au cours d’une sortie menant du mont Écho au mont Sutton, il s’était rendu compte qu’un des marcheurs ne pourrait jamais faire la sortie. Ni une, ni deux, il l’avait raccompagné à son auto et était remonté pour rejoindre le groupe, tout en s’arrangeant pour arriver le premier au sommet! Quelle forme!

Les premières années des Sentiers de l’Estrie, on l’a vu, ont été incroyablement motivantes pour les randonneurs à une époque où on en dénombrait relativement peu. Au point que l’organisme, malgré sa fragilité, a non seulement survécu mais prospéré de diverses façons aux plans humain et environnemental. C’est ce que nous verrons dans les prochains chapitres.

Les sigles

Remerciements

Cette enquête a été réalisée aux cours de nombreuse entrevues personnelles, en visio-conférence et au téléphone.

Nous remercions avec la plus grande reconnaissance les personnes nommées ci-dessous qui ont répondu avec une formidable bonne volonté pour fouiller dans leur mémoire, mais aussi avec le même enthousiasme qu’elles ont déployé comme créatrices de sentiers.

Jacques Gauthier et Robert Poisson méritent toute notre gratitude tant ils ont été généreux dans leur accueil du projet d’histoire des Sentiers. Merci pour leur temps, pour les photos et artefacts qu’ils ont retrouvés et remis aux Sentiers.

Un merci particulier à Gilles Bournival qui est plus qu’une aide précieuse dans la recherche d’information.

Un gros merci aussi à Muriel Corriveau, Laurent Péloquin, Nicole Potvin, Madeleine Bolduc, Ghislain Pouliot, Andrée Veilleux, René Pomerleau, Réal Martel, Nicole Blondeau, Daniel Martin, Jean Péloquin, Luc Arsenault, Aline Dumont, Nicole Obomsawin, Pierre Bail, directeur du musée de l’ardoise (Kingsbury), Louise Turcotte, Carmen Beaudet, Vincent Gauthier.

Merci à Louis Langlois, du bureau des Sentiers, dont l’aide efficace a toujours été assurée, à Jean-Pierre Marcoux et Bernard Chaput qui ont relu le texte pour y déceler des erreurs. Merci enfin à Huguette Audet pour ses patientes et minutieuses corrections de texte.